Ma démarche est de l’ordre de l’intime comme un voyage à l’intérieur de ce temple qu’est l’organicité de notre espace corps. Je désacralise cet espace lorsque j’explore, je scrute, je m’engouffre dans ses failles que je souhaite révéler à l’œil nu. Quand les pièces de tailles variables rencontrent le spectateur dans un dialogue frontal induit par un rapport d’échelle qui le dépasse, mes installations proposent une immersion au sein de ces nouveaux corps à l’organicité cellulaire amplifiée.
Les voyages que je propose convoquent l’intime propre à chacun mais de manière concomitante avec des représentations collectives normées. L’expérience à vivre réside dans la proposition plastique qui offre d’une manière détournée une lecture d’une «intériorité autrement». Le spectateur est amené à prendre conscience qu’il est porteur de ces mondes qui de prime abord seraient écartés, voire rejetés.
Le jeu se situe dans un traitement plastique oscillant entre attraction/répulsion, rejet/séduction, voir et refus de voir. Se comprendre autrement, se percevoir dans son unicité émerge de l’espace d’exposition qui devient enveloppe. En immersion, j’invite le spectateur à se déplacer dans son propre corps, et à se confronter à son organicité pour se recentrer sur son identité. La coque vide corporelle proposée par la société laisse place à des espaces porteurs d’hérédités, d’usages sociaux, et de reconnaissance de soi dans une société visant à une sacralisation du corps normé.
Mon travail propose au spectateur de faire l’expérience de ce qu’il porte en lui pour donner existence à son en dehors, à son en dedans. Renouer avec son propre corps en lutte avec une société de l’image visant a uniformiser et magnifiant le culte du corps. Policé, dépourvu d’organicité, l’individu est amené à une obsolescence programmée, un effacement progressif et insidieux de sa singularité. La volonté est de recentrer l’humain sur ces/ses valeurs et sa condition en le replaçant face à l’acceptation de son organicité cellulaire, humorale, sensible. Les espaces d’exposition assimilables à des enveloppes, placent le spectateur dans un voyage au sein d’un corps à l’échelle de cellules proliférantes que je cultive comme le ferait un scientifique. La relation que j’entretiens avec le microscopique reste le point d’appuis, pour entamer ce voyage souterrain intra-organique. Ces observations de l’infiniment petit donnent lieu à des modélisations détaillées qui se jouent des échelles. Chaque micro observations me conduit à une production qui pourrait être infinie. Je m’appuie sur ce que je vois pour construire mon propos. A l’’image d’un gant retourné, mes installations proposent cet en deçà que l’œil seul ne peut capter.
Les dimensions XXL des pièces, disposées, agencées dans des espaces clos sont comme des mises en culture et prolifèrent. Véritables rhizomes cellulaires, elles se propagent, se multiplient, s’agglutinent dans le milieu de culture qui leurs sont offerts. Cette propagation s’articule dans l’espace donné aussi bien d’un point de vue formel que d’un point de vue sémantique, attaquant, questionnant l’intime. Elle convoquent ces Golems contenus dans le corps en devenir, comme dans le corps sociétal. Nées de la fibre de coton ou du bas, de cheveux, matériaux issus de la féminité, les formes polylobées, lisses ou cicatricielles racontent leur histoire, révèlent notre histoire. Dans une volonté de proposer un regard incisif, leur apparence douce, présentent une lecture feuilletée où le monstrueux est distancié par sa facture esthétisée, comme un rappel à l’ordre, une présence alerte, indice dénonçant l’acidité du propos. La mise en tension des matières approche la fragilité de l’être.
Mes médiums sont multiples. Leur matérialité, leur plasticité sont guidés par le questionnement voulu. Mon travail est prolifique, généralement conçu in situ. Les pièces présentées sont étudiées pour dialoguer avec l’espace de présentations. Me laissant guider par le fil, la mine, l’objet, l’objectif, le pixel, mes pièces questionnent la posture du chercheur manipulateur de l’hybride face à l’homme.
Cette démarche découle de recherches précédentes sur la peau comprise non comme surface mais comme espace. J’explore la peau en m’appuyant entre autres sur les écrits de Didier ANZIEU. La peau devient espace «peaucien», une sorte d’Être au sein duquel peuvent s’opérer manipulations, observations, distorsions. A l’issue de quoi, je crée un laboratoire d’expérimentations plastiques. Ma recherche esthétique se tourne alors vers l’étude microscopique de la peau d’où naissent des pièces explorant l’hybridité et le clonage ouvrant ainsi sur une réflexion questionnant les enjeux de la science sur notre appréhension de la société de l’image du corps. Mes axes d’étude questionnent la singularité de chacun mis en exergue dans une société normée, tendant vers le formatage d’une société «peau-lissée», voire «policée» dans son apparence. Dans cette volonté de calibrage, je perçois implicitement la volonté de négation de la notion d’individu. Le corps devient support, étoffe de l’apparence dont il force la mise en avant. Sous elle, il tend à disparaitre. Dans mon travail, le corps dans toute son organicité s’impose avec ces différences, ses difformités. Corps mutant ou révélant son processus de mutation, monstrueusement offert, il est mis en avant, affirmant son individualité. Par une pratique prolifique, la singularité se répand à la manière d’un blob. Organisme unicellulaire, ni animal, ni végétal, ni champignon, dépourvu de cerveau, le blob apprend, transmet et fusionne avec ses semblables. Les installations que je propose évoquent cette prolifération hétérogène de la singularité qui tendraient à une homogénéité. Ainsi, l’anormalité ne se pourrait-elle se faire norme?